Nous avons eu la chance de rencontrer les artistes complémentaires Pierre et Gilles, exposés en ce moment au musée d’Art moderne du Havre à travers une belle rétrospective. Un couple qui se meut à travers les frontières des arts et des univers, depuis 40 ans.
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Pour célébrer son 500e anniversaire, la ville du Havre a mis les petits plats dans les grands. En plus d’installations artistiques tels que les containers colorés de Vincent Ganivet, visites, spectacles et festivités sont au rendez-vous aux quatre coins de la ville. Avec “Clair-obscur”, le musée d’Art moderne André Malraux (MuMa) met à l’honneur un des enfants prodiges de la ville portuaire et son partenaire formant l’emblématique duo de photographes Pierre et Gilles.
Cela fait plus de 40 ans que le binôme s’aime en travaillant ou travaille en s’aimant, on ne sait plus exactement. Dans les années 1970, le jeune Gilles Blanchard a quitté son Havre natal après avoir étudié aux Beaux-Arts et arrive à Paris. Pierre Commoy est lui aussi issu d’une région maritime, La Roche-sur-Yon, lorsqu’il croise le regard bleu de celui qui deviendra son partenaire d’aventures intimes et professionnelles. Le peintre complète l’œuvre du photographe, les idées de l’un alimentent les visions de l’autre et, à eux deux, l’imagination théorique devient réalité.
Depuis toujours inspirés par la culture populaire (ils refusent l’appellation kitsch) et les événements de leur vie, leurs œuvres sont empreintes de contrastes paradoxaux. La première idée qui vient en tête en entendant les deux prénoms des artistes est souvent des toiles colorées, fleuries et vivaces. Et effectivement, le duo est connu pour ses fonds très précisément travaillés, en studio et sous le pinceau joyeux de Gilles. Pourtant, Pierre et Gilles, c’est aussi la noirceur d’un tableau réalisé après le décès d’un parent, le désespoir de voir ses proches emportés par la maladie, le sida qui devient l’ombre menaçante des années 1980, mis en scène dans la superbe série des Naufragés, ou un message politique à travers le câlin de David et Jonathan, incarnant Israël et la Palestine. La notion de contraste est aussi présente dans le mélange des thèmes puisque les références bibliques, mythologiques et littéraires côtoient “les réalités du monde contemporain”.
Des pièces uniques
Dans leur studio du Pré-Saint-Gervais aux allures de caverne d’Ali Baba, les deux artistes fabriquent les sets de leurs photos. Tout est artisanal, de la confection des décors à la postproduction, réalisée à la main elle aussi. C’est en 1977 que, presque accidentellement, survient leur première collaboration pour leurs Grimaces. Trouvant les fonds des photos prises par Pierre trop ternes, le tandem décide de laisser à Gilles et à ses pinceaux le soin de les rehausser.
Depuis, chaque image est collaborative. Après avoir réfléchi ensemble au projet, Pierre prend la photo et Gilles y ajoute ses coups de brosse. Les tirages retravaillés sont prêts une fois que le cadre est ajouté. Partie intégrante de l’œuvre, il donne souvent à l’image une force nouvelle et un caractère unique. Comme nous l’expliquait Gilles devant ses travaux accrochés au MuMa : “Cela ne nous intéresse pas de tirer cent fois la même photographie. Ce qui nous plaît c’est l’unicité.”
Plus que simplement exposer les photos du duo, le MuMa les met en regard avec certaines de leurs inspirations (tel Dans le quartier Saint-François exposé en regard d’une toile de Fred Pailhés, à laquelle la photo rend hommage), et les met en scène à l’intérieur des petites cabanes typiques des plages havraises en nous plongeant même au sein d’un véritable “cabinet de curiosités”. Ce cabinet de curiosités rassemble les effets personnels du couple : “On se croirait chez nous”, soulignent-ils, une étincelle dans l’œil.
Catherine Deneuve, Stromae, Marc Jacobs, Isabelle Hupert ou encore Zahia Dehar sont passés devant leur objectif au même titre que de nombreux amis modèles, plus ou moins anonymes. Eux-mêmes se mettent assez régulièrement en scène, dans des compositions drôles et colorées. On remarque que lorsque les femmes sont présentes, elles tiennent souvent le rôle dominant, soutiennent le regard du spectateur devant des hommes à leurs pieds.
C’est aussi cela la force des deux artistes : sortir du cadre et donner à tout un chacun l’occasion de briller. Le musée du Havre rend aux artistes un hommage qui leur ressemble, à travers un univers coloré, drôle, intrinsèquement fantaisiste mais réaliste, qui ne fait pas fi des noirceurs du monde et ne prend pas une ride.
“Clair-obscur” est exposée au MuMa du Havre jusqu’au 20 août 2017.