Depuis plusieurs semaines, suite à l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie et aux différentes sanctions des pays occidentaux, le gouvernement russe a entrepris une grande campagne de censure des réseaux sociaux sur son territoire. Cela a commencé par Facebook, puis Twitter et plus récemment Instagram ont également été prohibés. Les trois réseaux sont désormais complètement bloqués en Russie.
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Ces blocages sont accompagnés d’interdictions d’émettre pour les derniers médias russes indépendants du Kremlin, avec la mise en place d’une loi, le 4 mars dernier, menaçant de quinze ans de prison tout partage d’informations discréditant l’action de l’armée russe. C’est un nouvel Internet auquel les Russes ont accès, vidé de ses contenus étrangers.
Nous nous sommes entretenus avec Mark Narusov, jeune Moscovite de 23 ans, qui nous a montré, captures d’écran à l’appui, à quoi ressemblait désormais “son” Web.
La fin des réseaux sociaux ?
Mark nous montre un à un ses réseaux sociaux. Twitter n’affiche rien, pas un feed, pas un message privé. Même chose pour Instagram, qui n’est plus, depuis quelques jours, qu’un enchaînement de comptes sans images. Facebook se distingue un peu puisque, à ce moment-là, il semble à peu près fonctionner. “C’est un peu variable, des fois j’ai de la chance”, explique Mark.
Reddit fonctionne, mais il n’est pas très utilisé par les internautes russes. Puis vient le cas TikTok. À première vue, rien ne semble avoir changé sur le nouveau réseau social en vogue, mais, en y regardant de plus près, il y a bien des différences. Aucun compte international n’est trouvable. Pas un compte de star, de chanteur, d’artiste étranger – entendre qui n’est pas russe.
Seuls les comptes “nationaux” sont disponibles. Mark me montre même quelques petits “créateurs” de contenus récemment arrivés sur la plateforme. Ces comptes activistes soutiennent l’invasion et produisent des “mèmes” montrant l’Ukraine comme un pays faible obligé de quémander de l’aide aux États-Unis et à l’Union européenne.
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Qu’est-ce qui n’échappe pas à la censure ? VKontakte (VK), évidemment, le “Facebook russe”, propriété depuis un an de Gazprom-Media et donc de l’État russe. Accueillant encore pas mal d’utilisateurs, le réseau social national est évidemment sujet à la censure et rien ne semble transparaître sur la situation réelle en Ukraine.
Le difficile accès à l’information, depuis toujours
Mark a étudié à Sciences po Reims durant un an, en France. Les quelques mots de français qui lui restent sont là pour en témoigner, mais c’est surtout son sens du devoir citoyen qui confirme son appétence pour l’actualité politique et internationale. Il se considère lui-même comme une “exception”, y compris parmi ses proches amis moscovites.
Il nous montre les sites de médias bloqués par le pouvoir russe. Parmi ces médias autrefois indépendants, Écho de Moscou était une radio ultra-populaire et une des rares à défier le pouvoir autocratique. “Avant, on avait encore un régime hybride où on pouvait négocier un peu. Aujourd’hui, n’importe quel média qui parle de ‘guerre’ au lieu du terme officiel ‘opération spéciale’ est directement coupé”, explique Mark. En revanche, les médias d’État comme Russia Today ou Sputnik, désormais interdits dans l’UE, sont toujours accessibles sur le territoire russe.
Quid des médias internationaux ? Certains, comme la BBC, ont été bloqués, mais il en reste encore un certain nombre qui sont accessibles, notamment des médias français. Étonnant, car ces derniers permettent une lecture bien plus large que la version officielle du gouvernement russe et des médias qui lui sont restés fidèles.
“C’est tout simplement parce que la majorité des Russes ne parlent principalement que le russe. Ils parlent très mal anglais et encore moins une autre langue”, explique Mark. Selon lui, la priorité pour le gouvernement de Poutine était de bloquer les informations contradictoires en russe, le reste étant encore assez “secondaire” pour le moment.
C’est à peu près le même phénomène sur YouTube, encore à l’abri de la censure. La démonstration que fait Mark est simple : il tape successivement “Ukraine” et “Украина” (Ukraine en russe) dans la barre de recherche. Les résultats sont très variables : le premier terme affiche des vidéos de tous les pays, le deuxième ne montre quasiment que des vidéos pro-Poutine.
Les trois lettres magiques pour contourner la censure.
“Les Russes ont rapidement dû apprendre le mot magique : VPN.” Les virtual private network permettent de simuler une connexion depuis un autre pays. Ils sont aussi bien utilisés par des criminels désirant camoufler leur position que par des individus lambdas souhaitant accéder à la bibliothèque Netflix d’un autre pays ou télécharger des contenus illégalement.
En Russie, les VPN sont désormais une arme de choix pour contrer la censure. Mark explique qu’ils étaient déjà un peu utilisés avant, mais aujourd’hui, ils sont omniprésents sur les téléphones. Le jeune Moscovite ajoute d’ailleurs que le gouvernement russe a déjà essayé de bloquer ces logiciels l’année dernière, sans succès.
Avec un VPN, la connexion est plus encombrée, mais l’on peut accéder à “l’Internet d’avant”. Mark en fait d’ailleurs la démonstration en activant le sien (Psiphon) pour retrouver l’usage de Twitter.
Il existe encore quelques “refuges” sur le Web russe qui ont échappé à la censure et qui sont accessibles sans VPN. Parmi eux, Telegram, l’application de messagerie cryptée, est devenue, selon Mark, le “réseau social le plus utilisé” en Russie. Dessus, on retrouve des feeds de médias, comme la BBC Russia, qui publient régulièrement (en russe) des informations sur le conflit.
Une censure aussi numérique que physique
Lorsque l’on demande à Mark s’il préfère être anonymisé, il répond que non. Il assume les risques, comme lorsqu’il s’est fait arrêter le 28 février, au début du conflit, pour avoir manifesté contre la guerre. Arrêté aux côtés de plusieurs milliers de personnes, il a subi des violences psychologiques. Un de ses collègues a été battu par les policiers.
“Les Russes n’ont plus le choix, ils ne peuvent plus être ‘apolitiques’. Pour ma part, j’aurais honte si je n’essayais pas au maximum de protester pendant que des Ukrainiens se font tuer par les bombes de mon gouvernement.”
Mark Narusov revient sur les manifestations qui ont eu lieu en Russie suite à l’invasion de l’Ukraine. “Je sais que, de l’extérieur, quelques milliers de manifestants, ça ne paraît rien, mais en réalité, c’est déjà phénoménal ici”, assure-t-il. Le pays, complètement verrouillé, n’avait en effet plus connu ça depuis de nombreuses années.
Il explique aussi que chaque arrestation équivaut à une fouille en règle de son smartphone par la police russe. “Ils regardent tout, tes messages, tes réseaux, ils cherchent des groupes de discussion pour arrêter les organisateurs de manifestations.” Cette paranoïa est visible jusque dans la rue, où les officiers de police font des fouilles spontanées des téléphones des plus jeunes citoyens à la recherche de toute donnée “incriminante”.
“Tout le monde supprime absolument tout sur son téléphone avant de partir manifester désormais.”
Pour la suite, Mark ne sait pas à quoi s’en tenir. Il espère que l’invasion commanditée par Poutine suscitera un sursaut de révolte dans son pays mais, pour l’heure, il est dans l’attente, comme tous ses compatriotes. “On s’attend à tout, mais on garde espoir quand même”, glisse-t-il.
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