Alors que l’Institut du monde arabe parisien a lancé son cycle “Ila janeb habibi” et que l’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour”, sur les identités et les sexualités LGBTQIA+, bat son plein, nous avons sélectionné cinq artistes à suivre sans plus tarder : Aïcha Snoussi, Kubra Khademi, Soufiane Ababri, Alireza Shojaian et le duo Jeanne & Moreau.
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Né au Maroc, Soufiane Ababri raconte dans ses illustrations une société marquée par les discriminations, le racisme, les tensions politiques et clivages sociaux, puisant souvent dans son propre vécu et son rapport à la masculinité. Parmi ses travaux emblématiques, on retrouve ses Bed Works, ces dessins qu’il esquisse au crayon depuis son lit, en position allongée.
Son œuvre à l’apparence candide questionne les rapports de domination qui se jouent en France, comme les violences policières, ou encore la fétichisation des corps arabes, en rebondissant souvent sur l’actualité. D’autres fois, il s’agit, de manière plus frontale, d’amour gay, de scènes de sodomie et de plaisir masculin sans artifice.
Soufiane Ababri, Bed Work, 2022. (© Galerie Praz-Delavallade Paris, Los Angeles/Photo : Philippe Fuzeau)
Soufiane Ababri, Bed Work, 2022. (© Galerie Praz-Delavallade Paris, Los Angeles/Photo : Philippe Fuzeau)
Soufiane Ababri, Bed Work, 2022. (© Galerie Praz-Delavallade Paris, Los Angeles/Photo : Philippe Fuzeau)
À travers mille et une formes, l’artiste tunisienne Aïcha Snoussi travaille autour des identités, de la fiction et de l’exil. L’une de ses œuvres emblématiques est sa Sépulture aux noyé·e·s, une installation de ruines intimes, de bouteilles portant des récits, réalisée en mémoire d’une civilisation queer (fictive) disparue en mer Méditerranée, sur la côte tunisienne. Cette civilisation daterait du Ve millénaire avant notre ère et serait composée d’amant·e·s queers et poètes.
Mêlant sculptures, dessins et matériaux divers, Snoussi renvoie dans son œuvre à la grande Histoire autant qu’à son histoire personnelle. Son Self-portrait en est le manifeste : elle se présente en pleine masturbation, entourée d’archives personnelles et de taches de sang.
Aïcha Snoussi, Sépulture aux noyé·e·s, 2021. (© Galerie La La Lande/Photo : Marc Domage)
Aïcha Snoussi, Self-portrait, 2021. (© Jean-Marc Decrop)
Peintre iranien exilé à Beyrouth, Alireza Shojaian dessine l’histoire queer du monde asiatique, arabe et musulman. En se réappropriant l’esthétique discutée de l’orientalisme, il se plaît à représenter des hommes dans des positions lascives.
En toute intimité, les regards et la nudité de ses sujets se révèlent sous son pinceau. L’artiste vit sa peinture comme un “espace sûr” pour les minorités, où peut s’exprimer librement un éventail de masculinités, où la virilité toxique n’a pas sa place. Éloge à la beauté de tous les corps, ses tableaux s’articulent également autour de thèmes comme l’exil, les histoires familiales, le deuil et le traumatisme, en s’inspirant de sa propre expérience.
Alireza Shojaian, Yannick Blossom at the mention of your name, 2020, collection Delacroix Montier.
Alireza Shojaian, Tristan Jardin Persan, 2020. (© Galerie La La Lande)
Alireza Shojaian, The Mirror, collection de Ramzi Abufaraj & Keith Nuss.
Jeanne et Moreau est un duo formé en 2017 par les artistes libanaises Lara Tabet et Randa Mirza. Pour chaque série, elles puisent dans leur archive commune pour produire des images qu’elles considèrent comme des objets. Cela peut prendre la forme d’installations, de sculptures, d’images mouvantes ou de photographies.
Mirza réinterprète l’imagerie orientaliste et sexuelle à travers le social et le politique tandis que Tabet s’inspire de son expertise en médecine pathologique et du passé historique libanais pour explorer genres, identités et sexualités. Leur premier projet faisait état de leur relation amoureuse, face à un monde en évolution.
Sieste. (© Jeanne & Moreau)
Coucher de soleil aux deux signes, 2022. (© Jeanne & Moreau)
Bouquet #10, 2022. (© Jeanne & Moreau)
Dessinatrice et performeuse afghane, Kubra Khademi explore son exil et la sexualité féminine dans des œuvres figuratives. Après avoir étudié les beaux-arts à Kaboul puis à Lahore, elle fut contrainte de quitter le pays en 2015, à seulement 26 ans, à cause de menaces de mort reçues à l’issue de sa performance intitulée Armor. Cette performance la mettait en scène, déambulant en hijab dans les rues, vêtue “d’une armure bombée au niveau des seins et des fesses”.
Exilée depuis en France, l’artiste multidisciplinaire a reçu le titre de chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la part du ministère de la Culture. Aujourd’hui, elle crée plus librement dans son studio et continue de s’attaquer au patriarcat qui ronge nos sociétés. Ses tableaux se font l’écrin du désir féminin, de scènes érotiques, de sujets entremêlées dans des positions sulfureuses et acrobatiques, défiant le genre, se touchant le sexe, à travers des tonalités ocre et un style minimaliste inspiré de la poésie et des miniatures persanes.
Les sourires et les expressions neutres de ses sujets imposent une normalisation de la nudité et de la sexualité. “Je ne peux empêcher les gens de nommer ce qu’ils voient, et ils voient des nus ; mais pour moi, il ne s’agit que de corps. Des corps avec leur identité pure. Personne n’oblige mes personnages à porter quoi que ce soit. Ils n’ont pas à porter quoi que ce soit pour être identifiés. Les femmes que je dessine sont elles-mêmes. Des femmes avec leur identité propre. C’est ce qui est important pour moi. Je les appelle ‘les corps'”, nous racontait-elle dans un entretien.
L’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour” est à voir à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 19 février 2023.