Maya Husseini espérait prendre sa retraite après des décennies passées à concevoir des vitraux, mais cette artiste est submergée de demandes de restauration depuis l’explosion massive qui a ravagé des pans entiers de la capitale Beyrouth. “Je ne peux pas ne pas essayer de restaurer ce qui est parti”, affirme cette maîtresse verrière de 60 ans aux cheveux courts et bouclés rouge vif.
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L’explosion gigantesque au port, le 4 août, a fait plus de 190 mort·e·s et des milliers de blessé·e·s. Sous l’effet d’un souffle monumental, elle a endommagé des centaines de structures sur plusieurs kilomètres à la ronde. Les bâtiments historiques n’ont pas été épargnés. Maya est l’une des artistes qui s’affairent depuis à sauver le patrimoine et l’âme de Beyrouth.
La maîtresse verrière Maya Husseini, 60 ans, montre un projet en cours pour une cathédrale en construction en Jordanie, un projet important sur lequel elle travaillait avant l’explosion de Beyrouth, dans la cave de son atelier, situé dans la banlieue de la capitale libanaise, le 18 septembre 2020. (© Anwar Amro/AFP)
Dans son atelier en sous-sol, dans la banlieue de la capitale, elle montre ce qui reste des fenêtres d’une église du XIXe siècle qu’elle avait déjà restaurées après la guerre civile de 1975-1990. Des tiges métalliques contorsionnées, abritant quelques morceaux de vitraux orange et bleus, gisent dans une boîte en carton. “Au moins sept projets sur lesquels j’avais travaillé ont volé en éclats”, déplore-t-elle.
Parmi eux, des scènes bibliques sur verre pour une église et d’éblouissants vitraux jaunes et orange pour le très réputé musée Sursock. Avant l’explosion, elle avait prévu de prendre sa retraite après avoir mis les dernières touches à la conception des vitraux d’une cathédrale en construction en Jordanie.
Poussière de verre
© Anwar Amro/AFP
Sur sa table de travail, Mme Husseini prend un morceau de verre vert et l’insère entre des bandes de plomb pour reconstruire une fenêtre représentant un jardin de fleurs et de feuilles pour une maison privée. Malgré l’aide de ses nouveaux·elles apprenti·e·s, elle dit manquer de temps pour répondre à toutes les sollicitations. “Pour certaines demandes, je ne pourrai rien faire avant au moins deux ans”, déplore-t-elle.
Dans les quartiers les plus sinistrés, près du port, une course contre la montre s’est engagée pour couvrir jusqu’à cent bâtiments historiques avant l’arrivée des pluies diluviennes. Une conférence parrainée par l’Unesco est prévue pour collecter des centaines de millions de dollars destinés aux travaux de restauration et de reconstruction, avait annoncé la directrice de l’organisation, Audrey Azoulay, depuis Beyrouth.
Gaby Maamary, spécialiste en restauration d’œuvres d’art, examine une peinture datant du XVIIe siècle de l’artiste italienne Elena Recco, abîmée dans l’explosion de Beyrouth, dans son studio, le 17 septembre 2020. (© Anwar Amro/AFP)
Entre-temps, les Libanais·es tentent de sauver leur patrimoine. À l’image de Gaby Maamary, qui a décidé de restaurer gratuitement des toiles endommagées. Sa source de motivation, dit-il, est le dévouement de la jeunesse libanaise au lendemain du drame, qui s’est mobilisée pour balayer les décombres dans la rue et aider les personnes qui ont subi les dégâts.
L’héritage est “quelque chose que vous pouvez facilement perdre si vous n’y prêtez pas attention”, affirme l’artiste et universitaire de 58 ans. Dans son atelier à Beyrouth, il examine soigneusement une nature morte du XVIIe siècle de l’artiste italienne Elena Recco, représentant un chat lorgnant avidement des poissons morts. La toile a été entaillée par des éclats de verre.
Gaby Maamary, spécialiste en restauration d’œuvres d’art, examine une peinture datant du XIXe siècle, abîmée dans l’explosion de Beyrouth, dans son studio, le 17 septembre 2020. (© Anwar Amro/AFP)
Portant des gants blancs, il montre une autre toile qu’il a commencé à nettoyer, dont la partie non traitée est légèrement plus foncée et couverte d’une fine poussière de verre scintillante. À proximité, une peinture de l’artiste libanaise disparue, Sophie Yeramian, a craquelé durant l’explosion.
Persévérance redoutable
“Nous ne nous attendions pas à autant d’appels”, confie M. Maamary, qui évalue les dégâts dans des galeries d’art et chez des particulier·ère·s. Lors d’une visite à domicile, il a récupéré une toile endommagée valant des dizaines de milliers de dollars qui allait être jetée. Une deuxième avait été recouverte de ruban adhésif. La propriétaire s’était rendue à l’hôpital avec son fils gravement blessé après l’explosion et la personne ayant aidé à balayer les décombres ne s’était pas rendu compte de leur valeur.
© Anwar Amro/AFP
La restauration implique des heures de planification préalables, explique M. Maamari. Ensuite, pendant la remise en état, “parfois, la même étape doit être répétée plusieurs fois, car nous ne disposons pas de l’équipement de pointe des musées”.
L’acheminement de matériaux depuis l’étranger est aussi compliqué à cause de la suspension, depuis près d’un an, des virements par des banques touchées de plein fouet par la crise économique. Mais l’artiste refuse d’abandonner. Il a recours aux aides d’amis et aux produits disponibles localement. “Nous continuerons à faire ce travail quotidiennement jusqu’à ce que nos matériaux ou moyens s’épuisent.”
© Anwar Amro/AFP