Chaque année, c’est la même ritournelle : une fois le printemps venu, les canons à paillettes sortent du placard, on affûte sa plus belle chanson (en langue régionale, s’il vous plaît) et on s’installe confortablement devant sa télévision. Depuis sa création en 1956, l’Eurovision réunit les membres de l’Union européenne (plus quelques pays comme l’Australie, l’Israël ou la Russie) dans le cadre d’une compétition musicale, diffusée en direct partout sur le continent. Chaque année, l’Eurovision cumule plusieurs millions de téléspectateurs devant le poste, et dans certains pays, c’est l’événement de l’année. Cette année, la France est représentée par Alvan & Ahez et leur chanson “Fulenn”, tout en breton, ambiance rave boueuse entre quelques menhirs.
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Depuis plusieurs années, l’Eurovision est devenu, pour moi et quelques ami.e.s, une tradition : on fait des pronostics, on sort notre plus beau make-up à paillettes, et on regarde l’émission en buvant des cocktails. Et me voici, chaque année, à défendre auprès de néophytes mon amour pour cette compétition faussement ringarde… Alors, une fois pour toutes, j’ai décidé de noter noir sur blanc quelques règles de base pour au mieux profiter de cette soirée.
On connaît son histoire et sa géopolitique
Pourquoi en fait-on tout un foin ? Parce qu’au-delà de la musique, l’Eurovision est le lieu de performances historiques. Par exemple, c’est grâce à l’Eurovision qu’on connaît des artistes comme ABBA ! Mais avant tout, c’est une scène pour davantage de représentation : en 1998, la victoire de la star israélienne trans Dana International donne plus de visibilité aux personnes trans. En 2014, la drag queen autrichienne Conchita Wurst gagne la compétition, et pose d’autres modèles de féminité et de masculinité. Récemment, la France a présenté au concours Bilal Hassani, qui bouscule les normes de genre. Et en 2021, le groupe italien vainqueur, Måneskin, a créé de nombreux commentaires de par leur look et leur androgynie… créant quelques bi panics (dont la mienne) au passage.
Qui dit Eurovision dit Europe, et donc multitude de pays en compétition les uns contre les autres… Et beaucoup de politique. En 2019, le groupe islandais affichait en direct live un drapeau palestinien, alors que la compétition se tenait en Israël. Cette année, la Russie a été évincée du concours, dû à la guerre qui fait rage en Ukraine. Le système de vote de la compétition est à l’image de ces enjeux géopolitiques : chaque pays accorde des points à d’autres, et certains pays (notamment à l’est) sont réputés se soutenir entre eux. Dans un deuxième temps, le public peut voter par SMS pour son pays favori… Mais pas le sien.
On se met dans l’ambiance avec une bonne playlist des familles
Bon, une fois qu’on a révisé sa géographie, il faut se mettre dans l’ambiance. Rien de tel qu’une petite playlist pour retracer les meilleurs moments de l’Eurovision, et passer de la chansonnette des années 1960-1970 à l’Eurodance tapageuse des années 2000. Certaines chansons sont des classiques : “Waterloo” d’ABBA, bien sûr, mais encore “Hard Rock Hallelujah” des Finlandais de Lordi, “Dancing Lasha Tumbai” présentée par les Ukrainiens de Verka Serduchka en 2007, ou bien “Run Away” des Moldaves SunStroke Project et Olia Tira, qui ont créé le mème du “epic sax guy”.
Pour rentrer encore plus dans le bain, n’hésitez pas à regarder un résumé des chansons de l’an précédent : l’édition 2021 a permis d’assister à de super performances, des Italiens rock de Måneskin à la trinity ukrainienne du groupe Go_A en passant par le supergroupe islandais hilarant Daði og Gagnamagnið. Je conseille de ne pas trop écouter toutes les chansons avant la compétition, et plutôt de les découvrir en live… On est jamais à l’abri d’un fail, d’une robe qui se coince, d’un effet pyrotechnique raté, ou d’une mauvaise note.
On choisit un bon set-up… et on prépare ses pronostics
N’hésitez pas à opter pour un dress code full kitsch, paillettes et tenues flamboyantes. Dans la pratique, une soirée Eurovision, ça se prépare : à boire et à manger (la soirée est longue, presque trois heures de compétition), un bon écran et des enceintes adaptées (on est quand même là pour la musique), et surtout quelques jeux pour pimenter la soirée.
Deux options s’offrent à vous, les deux pouvant se conjuguer :
- Créer un bingo sous forme de jeu à boire (attention, l’alcool est à consommer avec modération, ce serait bête de finir par terre avant les douze points), en comptabilisant le nombre de pyrotechnies, de canons à paillettes, de tenues traditionnelles, de commentaires drôles, de fails sur scène…
- Jouer la carte des pronostics : vous pourrez trouver des modèles sur Internet, et ainsi tenter d’établir votre propre classement de la compétition. Et pour pousser le fun encore plus loin : avoir de petits cadeaux pour récompenser ceux ou celles les plus proches du classement final. Avec ce système, je possède désormais un magnifique micro rose de fête foraine, qui fait la joie de mon entourage.
Avec tout ça, même vos invités les plus sceptiques devraient passer une bonne soirée. Pour les fans les plus ardus, on conseille bien entendu de flâner sur Twitter et Instagram pour glaner les meilleurs mèmes de la soirée.
On embrasse le camp de l’événement
Alors oui, très souvent, l’Eurovision, c’est too much. On retrouve des performances WTF, des Allemands déguisés en doigt d’honneur, des Islandais dans des cages en métal, des chanteuses en robe boule à facettes avec des ailes d’ange, des danseurs en kilt, des personnages insolites, des chansons tire-larmes et d’autres inaudibles. Il y a des flammes, des confettis, ça saute dans tous les sens, c’est très fort visuellement… Bref, pendant longtemps, l’Eurovision, c’était ridicule.
Sauf qu’aimer l’Eurovision, c’est embrasser son côté camp, concept hérité des cultures queer pour désigner un esthétisme, un code, une manière d’être au monde. Susan Sontag, l’autrice de Notes on ‘Camp’, un essai sur le sujet, écrivait ainsi que “l’essence du camp réside dans son goût pour le non-naturel : l’artifice et l’exagération. Le camp met tout entre guillemets” : l’Eurovision déborde et dégouline de son goût pour la lumière, mais n’est-ce pas ça qui fait son charme ? Ça fait longtemps que j’ai arrêté de me poser la question. Et cette année, comme tous les ans, je serai devant ma télévision le 14 mai, un Spritz dans une main, mon téléphone dans l’autre… Et quelques paillettes sur les yeux.