Brillante anthologie créée par Charlie Brooker, Black Mirror s’amuse depuis 2011 à conjuguer au futur proche la technophobie ambiante en alimentant nos névroses, afin de creuser les tréfonds de l’âme humaine et noircir notre avenir.
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Devenue une référence en matière de retournements de situation ahurissants, malsains, parfois même carrément obscènes, la série a trouvé comment séduire son public, quitte à le laisser avec le cœur au bord des lèvres.
Elle compte 19 épisodes au total et presque autant de twists, plus ou moins efficaces. Nous avons décidé de présenter les dix meilleurs.
#10 “Nosedive” – saison 3, épisode 1
© Netflix
Que peut-on imaginer de pire que devoir refréner tout instinct, masquer toute émotion, et évoluer tels des pantins grimaçants dans un monde de faux-semblants, sous peine de mort sociale ?
Le twist de “Nosedive” n’en est pas vraiment un, mais plutôt un aboutissement logique à la dégringolade mentale de Lacie. Suite à une série de bourdes ayant provoqué la chute de sa notation dans l’application, Lacie est envoyée en prison et libérée de la technologie contrôlant sa pensée. En bas de l’échelle sociale, citoyenne déchue mais seule avec elle-même, elle se lâche enfin et vomit une flopée d’insultes à son codétenu.
Le plus effrayant dans cet épisode – imaginé par Rashida Jones et Michael Schur – est-il la parfaite analogie avec notre obsession de plus en plus grandissante pour l’approbation virtuelle de nos faits et gestes, ou bien le fait que Lacie découvre ce qu’est réellement la liberté alors qu’elle est derrière les barreaux ? Pire encore, la résonance très actuelle de la technologie fait froid dans le dos. En effet, le gouvernement chinois souhaite mettre en place un système similaire afin de classer ses citoyens. On sent comme un relent nauséabond dans l’air…
#9 “Fifteen Million Merits” – saison 1, épisode 2
© Channel 4
L’épisode met en lumière l’oppression des masses par la télévision, où braillent sans cesse présentateurs et acteurs divers pour faire régner la manipulation et l’humiliation, mais on retiendra surtout la brève et chaleureuse romance entre Bing (Daniel Kaluuya avant Get Out) et Abi (Jessica Brown Findlay), deux êtres entiers au milieu du néant intellectuel d’un monde obsédé par le divertissement et de la froideur des écrans qui les reflètent.
Le twist : suite à la défaite à Hot Shot de son amie Abi, reléguée au rang d’actrice porno, Bing se lance dans une tirade mémorable sur l’engourdissement de la société, aliénée par le mensonge et le vice. Insensible à sa douleur, le jury le félicite pour son sens du divertissement, et lui propose d’animer sa propre émission ! À contrecœur, il accepte. Punition ultime : au lieu de détruire le système, Bing en devient le porte-parole.
8 “Black Museum” – saison 4, épisode 6
© Netflix
Venez faire la connaissance de Rolo Haynes, conservateur sadique d’un musée qui expose des reliques criminelles rares. Véritable anthologie dans l’anthologie, cet épisode renvoie aux nombreuses intrigues passées de la série, à travers les artefacts en question, parmi lesquels figurent le portrait de Victoria dans “White Bear”, le séquenceur d’ADN de “USS Callister” ou la tablette Arkangel. À travers une série de récits horrifiques, Haynes balade Nish, une jeune touriste, parmi ses horreurs chéries. Mais rien ne peut la préparer au clou de l’exposition…
Le twist : Nish se révèle être la fille de Clayton, le fameux “clou du spectacle” : un prisonnier mort sur la chaise électrique dont Haynes a transféré la conscience dans un hologramme que les visiteurs (riches, racistes) peuvent torturer à loisir. Afin de venger son père, elle empoisonne le conservateur fou et piège sa conscience dans l’hologramme, pour qu’il y reste à jamais. Elle abaisse le levier d’exécution et pousse la charge au maximum, libérant la conscience éprouvée de son père, avant de mettre feu au musée.
Un final qui file autant la chair de poule qu’il est (atrocement) satisfaisant.
7 “Hang The DJ” – saison 4, épisode 4
© Netflix
Vous êtes célibataire et recherchez l’âme sœur ? Mettez au défi le Système, une application de rencontre élaborée permettant de trouver le partenaire idéal à travers une série de relations tests à la durée prédéfinie par de savants calculs. Les schémas préconisés laissent peu de place à l’improvisation et à la probité, et les couples sont bousculés de romance en romance afin d’obtenir le résultat le plus précis possible.
Le twist : après avoir contemplé pendant près d’une heure Frank et Amy essayer de donner une chance à leur histoire malgré les filtres imposés par le système, on apprend qu’ils n’ont jamais été réels. Ils n’étaient en fait qu’une simulation parmi d’autres créées par le Système, car c’est ainsi que l’application calcule le pourcentage de compatibilité des couples. Sur mille simulations, Frank et Amy décident de s’enfuir 998 fois ensemble, ce qui confère à leur couple un taux de réussite de 99,8 %. Dans le monde réel, les véritables Frank et Amy se rencontrent alors pour la première fois. L’application est désormais convaincue qu’ils sont faits pour être ensemble.
“Hang the DJ” est l’un des seuls épisodes qu’on termine avec le sourire, et l’on ne voit pas vraiment venir ce twist final mignon et plutôt malin, trop absorbés à les observer essayer de vaincre un système auquel ils se sont volontairement soumis, mais qui ne leur convient pas.
6 “The Entire History of You” – saison 1, épisode 3
© Channel 4
“The Entire History of You” fut le premier épisode à nous montrer à quel point la technologie du futur pouvait exacerber nos instincts paranoïaques. Écrit d’une main de maître par Jesse Armstrong et porté par Toby Kebbell et Jodie Whittaker, l’épisode allie dérive technologique et drame humain avec brio.
Le twist : la révélation finale prouve non seulement à Liam qu’il avait raison et que sa compagne le trompe, mais que la vérité est encore pire qu’il l’imaginait.
Les défauts de la mémoire ne nous servent-ils pas justement à oublier ce qui nous dérange, ce qu’on ne veut pas voir ? Ici, l’élément technologique n’est pas le fléau mais sert tout de même de véhicule à la jalousie et aux doutes bien humains de Liam.
#5 “Be Right Back” – saison 2, épisode 1
© Channel 4
Les talentueux Hayley Atwell et Domhnall Gleeson prêtent leurs traits aux personnages de ce conte glaçant qui explore ce qu’il se passerait si un service expérimental nous permettait de créer le simulacre d’un être aimé disparu, en utilisant son historique Internet. La réplique serait-elle parfaite ?
Le twist : les années ont passé, Martha vit avec sa fille. Seule ? Non, car le clone de synthèse représentant son mari défunt a été enfermé au grenier – probablement car elle n’a pas pu se résoudre à l’abandonner –, où il attend sagement les visites de sa fille le week-end. Voilà ce qui va faire une adulte équilibrée !
“Be Right Back”, et son ambiance cotonneuse, aborde la question délicate du deuil et de la difficile tâche qu’est réapprendre à vivre lorsque tout autour de nous rappelle celui qui est parti.
#4 “The National Anthem” – saison 1, épisode 1
© Channel 4
Dès son premier épisode, Black Mirror donne le ton. Prenant pour décor un Royaume-Uni réaliste, “The National Anthem” explore à travers une série d’événements d’une crédibilité dérangeante le concept d’acrasie (le fait d’agir à l’encontre de son meilleur jugement, ou dans ce cas précis de regarder ce qui nous révulse) et interroge l’obsession populaire pour les médias et la dépravation humaine.
Cette lancinante scène où le Premier ministre se voit obligé d’avoir un rapport sexuel avec un cochon pour sauver une princesse kidnappée a fait frissonner de dégoût tous ceux qui, fascinés, l’ont regardé se défaire de sa dignité dans la sueur et les larmes, et ce pendant de longues, longues minutes.
Le twist : pendant que la nation entière est agglutinée devant son écran, les yeux révulsés d’horreur, personne ne remarque que la princesse a été libérée par son tortionnaire plusieurs heures avant que ne commence le spectacle. L’ultimatum avait en fait été lancé par un artiste tordu qui souhaitait conduire une expérience sociale sur le peuple.
Voilà le moyen parfait de savoir si Black Mirror est fait pour vous… ou non. La gratuité de l’humiliation publique subie par le Premier ministre comme l’éventualité d’un tel chantage dans la vraie vie, font de ce pilote un des épisodes les plus cruels de la série. Charlie Brooker commençait fort : en donnant raison à l’artiste, il nous rendait tous coupables de ne pas avoir détourné le regard.
Le grand gourou n’avait pourtant pas prévu que la réalité rattraperait la fiction, des années après. En 2015, éclate l’affaire du “pig gate”, où un certain Lord Ashcroft a accusé David Cameron (alors Premier ministre) d’avoir participé à des soirées étudiantes aux rituels étranges, dont celui de placer son pénis dans la gueule d’un cochon mort. Une coïncidence si sinistre qu’elle ne s’invente pas.
3 “San Junipero” – saison 3, épisode 4
© Netflix
Lorsque Black Mirror secoue ses plumes d’oiseau de malheur et s’essaie à l’utopie le temps d’une bouffée d’air frais, se peint une romance virevoltante emmenée dans un tourbillon de couleurs criardes, de passion libertaire et de déhanchés sur le dancefloor.
Le twist : “San Junipero” laisse le spectateur un long moment sans savoir quel rôle la technologie futuriste va jouer dans la vie de Yorkie et Kelly. C’est vers le milieu de l’épisode que le retournement de situation nous fend le cœur. “San Jupinero” est en réalité un système de paradis virtuel pour personnes âgées en fin de vie. Celles-ci peuvent décider d’y charger leur esprit à leur mort, et d’y vivre libres de tout, le temps et l’espace suspendus à jamais. Yorkie et Kelly se rencontrent alors qu’elles testent la technologie, peu de temps avant de rendre leur dernier souffle.
S’imposant comme le premier épisode à avoir montré les bénéfices que pouvait tirer l’humanité de la technologie, “San Junipero” se termine sur la mort de ses deux héroïnes, certes, mais le couple passera l’éternité ensemble à s’éclater sans contrainte, se découvrir sans préjugés et parcourir le monde virtuel à bord de sa voiture décapotable.
La réflexion grinçante de la série reste évidemment intacte, et s’en trouve d’autant plus efficace alors qu’elle abandonne sa carte “choc” chérie pour faire vibrer la corde de l’émotion. Le charisme dingue de Gugu Mbatha-Raw et Mackenzie Davis ne gâchant rien.
#2 “White Christmas” – épisode de Noël
© Channel 4
“White Christmas”, premier épisode produit par Netflix, jongle avec dextérité entre plusieurs récits alimentés par Matt (Jon Hamm) et Joe (Rafe Spall), deux hommes coincés par la neige dans un chalet isolé. Le mystérieux Matt entreprend de raconter son passé et ses nombreuses activités moralement répréhensibles liées à la technologie Z-Eyes, entre séduction intrusive et fabrication d’esclaves virtuels. Galvanisé par ces récits, Joe se confie à son tour et explique comment sa femme l’a “bloqué” suite à une dispute où elle a catégoriquement refusé de garder son bébé : il lui est désormais impossible de la voir, elle ou sa fille. De fil en aiguille, il confie avoir tué quelqu’un par désespoir…
Le twist : le chalet en est réalité une réalité artificielle (un “cookie”) dans laquelle est prise au piège une copie digitale de Joe, à qui Matt (collaborant avec la police afin de réduire sa propre peine) doit faire avouer son meurtre. Pour parfaire la punition, la copie de Joe est maintenue dans le “cookie” à jamais, forcé d’écouter en boucle la chanson “I Wish It Could Be Christmas Forever”, accompagné par le corps de sa fille étalé par terre.
Le schéma dramaturgique implacable de l’épisode peut paraître un peu complexe tant les histoires s’entremêlent et forment plusieurs couches d’une même conclusion, mais jamais un récit de Black Mirror n’avait été aussi ambitieux et maîtrisé, le tout servi par deux acteurs au diapason.
#1 “White Bear” – saison 2, épisode 2
© Channel 4
Rarement la série aura autant osé tremper sa plume dans la noirceur de l’être humain, et mettre ainsi en exergue ses bas instincts, son goût du sang, son voyeurisme… et son sens du spectacle.
Le twist : tout ce cirque sordide, qui voit Victoria se faire pourchasser par des individus masqués vicieux, est en réalité une mascarade. La jeune femme, rendue coupable d’avoir filmé le meurtre d’une fillette par son propre fiancé, est prisonnière d’un parc thématique où elle est condamnée à voir sa mémoire effacée et vivre chaque jour un scénario similaire aux événements traumatisants de la journée. Le public peut prendre part à la représentation, jouer un rôle et s’amuser à la filmer pendant qu’elle lutte pour survivre. Jusqu’à ce que chaque soir, on rappelle à son souvenir un crime qu’elle ne se souvient pas avoir commis. Encore, et encore.
S’il y a une chose que Black Mirror adore, c’est questionner l’éthique et la moralité de ses spectateurs. Ici, cette femme, autrefois complice d’un monstre, est désormais utilisée comme forme d’amusement sadique, et on se demande si son châtiment est vraiment en adéquation avec la justice qui doit être rendue. Le sentiment de malaise face à cette révélation finale laisse un sale arrière-goût dans la bouche.
Ils ne font pas partie des dix meilleurs, mais on les aime quand même
Les intrigues qui suivent ne misent pas vraiment sur un effet choc ou une atmosphère sinistre afin de marquer le spectateur. Dans Black Mirror, tout ne se termine pas toujours en eau de boudin. Plus cléments et plus positifs, ces épisodes permettent à l’humain de confronter, voire de surpasser la technologie en usant de son courage et de son intelligence face à l’adversité.
“Arkangel” – saison 4, épisode 2
© Netflix
Réalisé par Jodie Foster, cet épisode aborde la notion relativement récente de “parent hélicoptère” (ces parents qui sont toujours derrière leurs enfants et contrôlent toute leur vie en assurant vouloir leur offrir un avenir brillant), et, aidé par la réelle prolifération des systèmes de surveillance privés, imagine les implications néfastes qui pourraient en découler. Et si nous pouvions équiper nos enfants d’une puce qui permettrait de surveiller tous leurs faits et gestes ?
Le twist : lorsque Sara découvre que Marie, sa mère, lui a donné la pilule du lendemain sans son consentement, elle la frappe violemment et s’enfuit.
Les motivations originelles de Marie sont-elles vraiment répréhensibles ? Comment reprocher à une mère de vouloir tout simplement assurer la sécurité et l’intégrité mentale de sa fille ? “Arkangel” aurait pu aller beaucoup, beaucoup plus loin dans le drame urbain, mais si Sara s’en sort bien en s’affranchissant de sa prison mentale, la finalité est d’autant plus cruelle pour sa mère puisqu’elle finit par la perdre, alors que c’était exactement ce qu’elle avait tenté d’éviter.
“USS Callister” – saison 4, épisode 1
© Netflix
Black Mirror n’étant jamais avare en surprises, cette critique acerbe du monde de l’entreprise sous couvert de parodie réjouissante de Star Trek contient pas moins de deux twists.
Le premier twist : dès la quinzième minute, on découvre avec stupeur que le Capitaine Daly (Jesse Plemons, en grande forme) est en réalité le grand méchant de l’histoire. Despote, il copie l’ADN des collègues qui se moquent de lui et les recrée dans une version du jeu où il peut déverser sa frustration sur son équipage, les asservir et les humilier.
Le second twist : à la toute fin de l’épisode, alors que l’équipage avait comme seul moyen pour quitter cet enfer dictatorial d’entreprendre une mission suicide en fonçant droit sur un trou de ver, ils réussissent à quitter le mode pirate de Daly et à s’en sortir vivants. Il ne leur reste plus qu’à explorer l’univers virtuel comme bon leur semble. Longue vie et prospérité aux héros de l’USS Callister.
Dans le monde de Black Mirror, rares sont ceux qui s’en sortent indemnes, voire en vie. L’optimisme de ce dénouement, qui voit la ténacité et le travail d’équipe du groupe vaincre son oppresseur, constitue à lui seul un twist pour une série qui n’a jamais été tendre avec le sort de ses personnages.
“Metalhead” – saison 4, épisode 5
© Netflix
Ce survival ne contient pas de twist à proprement parler, si ce n’est que l’héroïne, seule survivante de la chasse à l’homme, se retrouve traquée et prise au piège en raison de balises plantées dans son corps, ce qui signifie qu’elle ne pourra plus échapper à la rage des robots chiens tueurs. Dans un dernier sursaut, elle finit par trouver ce qu’elle cherchait depuis le début : un carton rempli d’ours en peluche.
Cette fois-ci encore, au lieu de mettre l’accent sur l’utilisation néfaste que les humains ont de la technologie moderne (souvent à leurs propres dépends), Black Mirror prend un virage surprenant en opposant l’endurance et l’ingéniosité humaine à celles des machines.
Le twist : si l’on devait en trouver un, on pourrait (cette fois encore) se tourner vers le monde réel, dans lequel l’entreprise Boston Dynamics a créé des automates intelligents très similaires à ceux de “Metalhead”. Si vous n’aviez pas déjà peur… le futur est par ici.
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La prochaine saison de Black Mirror arrivera courant 2019, ayant pris du retard suite au tournage de “Bandersnatch“, l’ambitieux épisode interactif dont vous êtes le héros. Nous avons hâte de découvrir quelles atrocités nous réserve l’esprit tordu de Charlie Brooker.