Le 6 mai dernier, une œuvre datant de 1857, Fiat Justitia, partait aux enchères lors de la première vente organisée en Allemagne depuis le début du confinement. Seules vingt personnes avaient le droit d’être présentes physiquement pour cet événement exceptionnel. Pour comprendre pourquoi cette toile, passée entre les mains d’un négociant juif, d’Adolf Hitler et du gouvernement fédéral allemand, a été vendue pour 700 000 euros, retour sur un demi-siècle de lutte entre l’art et la politique.
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En 1857, Carl Spitzweg peint Fiat Justitia, une œuvre destinée à critiquer le système juridique allemand après l’échec de la révolution de 1848. Afin de contourner la censure, le peintre fait part de ses dénonciations grâce à des symboles : sa peinture présente une statue de la justice gardée par un officier de police tapi dans l’ombre. Sa balance est cassée, le bandeau censé représenter l’impartialité de la justice ne couvre plus tout à fait ses yeux et la statue a été fêlée puis recollée au niveau des chevilles.
“Fiat Justitia”, 1857. (© Carl Spitzweg/Neumeister/Christian Mitko)
La spoliation d’œuvres d’art par les nazis : un sujet d’actualité
Fiat Justitia devient la propriété du négociant juif allemand Leo Bendel, jusqu’à ce que ce dernier doive le vendre afin de financer son émigration pour l’Autriche, lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale. Il ne pourra malheureusement pas mener son plan à bien et en 1940, l’homme est tué dans le camp de Buchenwald.
La galeriste allemande Maria Almas-Dietrich récupère alors l’œuvre pour Adolf Hitler, afin de l’exposer au sein du Führermuseum – un projet de musée en l’honneur du dictateur. Après sa mort, c’est le gouvernement allemand qui récupère le tableau. La veuve de Leo Bendel, qui a survécu à son mari, n’en verra quant à elle jamais la couleur. Voilà un énième exemple de ces milliers d’œuvres pillées ou récupérées par le régime nazi qui n’ont jamais été rendues à leurs propriétaires originaux. Si des musées et collections publiques commencent à rendre certaines œuvres, en 2020, la question de la restitution des œuvres constitue toujours un sujet d’actualité.
Un des plans du Führermuseum, dessiné par Roderich Fick, d’après les croquis d’Hitler. (© Wikipedia Commons)
En mars 2007, un ouvrage intitulé Œuvres spoliées par les Nazis – Restitution des œuvres dans le monde entier était publié à destination des descendant·e·s de familles juives spoliées par les nazis “pour les aider à récupérer les œuvres d’art qui étaient tombées dans de mauvaises mains” et à affronter les musées et collectionneur·se·s qui les possédaient alors :
“Il présente 109 cas de plaintes, de la France aux États-Unis en passant par l’Australie, mettant en avant les précédents judiciaires dans chacun des pays. Selon Gunnar Schnabel, l’un des coauteurs, ‘des milliers d’œuvres majeures et des dizaines de milliers de peintures de moindre valeur devraient retourner aux héritiers légitimes'”, détaillait à l’époque La Dépêche.
Un cas d’école
En couverture de l’ouvrage : Fiat Justitia, l’œuvre de Carl Spitzweg. Ce choix, précise le journal, était destiné “à faire pression sur le gouvernement allemand”, qui conservait dans ses collections publiques ce tableau depuis la fin de la guerre. Lorsque dans les années 2000, soit plus de 60 ans après les faits, l’historienne Monika Tatzkow (coautrice d’Œuvres spoliées par les Nazis) parvient à prouver que Fiat Justitia est une “œuvre d’art confisquée aux mains des Juifs en raison de la persécution nazie”, le président allemand de l’époque, Horst Köhler, fait retirer le tableau de son siège officiel.
La vente du tableau aux enchères représentait donc un événement en Allemagne et c’est sans doute pour cela qu’un collectionneur privé a déboursé 700 000 euros pour le posséder. En 2020, l’art continue de raconter et d’écrire l’Histoire.