Depuis une bonne dizaine d’années, le pouvoir des réseaux sociaux et, conjointement, celui des soulèvements populaires, permet l’amplification de voix collectives et de récits individuels auparavant passés sous silence. À Paris, L’Institut du monde arabe (IMA) met actuellement en lumière les identités LGBTQIA+ et son militantisme dans les régions d’Asie du Sud-Est et d’Afrique du Nord (Swana) grâce aux travaux d’une quinzaine d’artistes venant “du monde arabe et de ses diasporas”.
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L’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour” raconte en photo, en peinture, en sculpture ou en vidéo des luttes, victoires, peines et joies vécues dans la communauté queer. Des récits les plus intimes et individuels aux narrations plus généralistes, les projets exposés touchent des considérations universelles concernant les libertés d’aimer et d’exister.
520, 2020-2022. (© Fadi Elias)
Qu’il s’agisse de l’espace offert par Internet pour s’exprimer et militer, des difficultés vécues par des personnes migrantes ou d’un hommage d’envergure rendu aux aîné·e·s de la communauté queer, voici trois projets à découvrir à l’IMA ces prochains mois. À noter également que pour le “podcast sur les sexualités des Arabes/Musulman·e·s”, Jins organise, jusqu’à la fin de l’exposition, des performances et discussions enregistrées au musée sur le thème des libertés sexuelles et amoureuses.
Les difficultés croisées de l’exil et de l’homophobie
Né en Syrie et basé à Duisbourg, Fadi Elias travaille sur “l’exil et ses conséquences”. Sa série documentaire 520 rassemble les portraits et témoignages de 16 migrant·e·s syrien·ne·s queers qui habitent désormais en Allemagne. Le nom de la série fait référence à l’article 520 du Code pénal syrien qui stipule : “Tout rapport sexuel considéré comme contraire à la nature est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans.”
520, 2020-2022. (© Fadi Elias)
Cette loi, qui n’est qu’une preuve de plus que l’homophobie est en partie un héritage colonial, a été adoptée sous le mandat français (1923 – 1943), “comme de nombreux facteurs politiques et sociétaux [qui] font qu’une atmosphère de peur pèse sur la communauté queer en Syrie”, note l’IMA.
La technique d’exposition multiple (soit plusieurs images superposées sur une même pellicule) employée par Fadi Elias revêt une double utilité. Elle permet d’une part au photographe de “simuler la diversité et la complexité des identités culturelles, sexuelles, ethniques, religieuses” mais aussi de protéger l’identité des modèles en floutant les traits de leur visage.
520, 2020-2022. (© Fadi Elias)
Hommage aux aîné·e·s de l’histoire des transidentités
En parallèle de son travail de rédacteur en chef de Cold Cuts (un “journal photo qui explore les cultures queers dans la région SWANA”, qui englobe l’Asie du Sud-Est et l’Afrique du Nord), Mohamad Abdouni constitue depuis plusieurs années “ce qui est probablement la première archive d’histoires trans dans un pays arabe”, souligne l’IMA.
Heureux que les choses changent et que la communauté LGBTQIA+ soit de plus en plus visible à Beyrouth, où il vit, Mohamad Abdouni souhaite donner une visibilité à ses “membres plus âgés”. Son projet Treat Me Like Your Mother: Trans Histories From Beirut’s Forgotten Past s’attache particulièrement à représenter les “femmes trans et hommes fem qui ont été largement effacé·e·s de l’histoire de Beyrouth”, tient à préciser l’artiste.
Photographe non identifié·e, image représentant Em Abed lors d’un voyage à Aaqoura, Kesrouane, au Liban, date inconnue. (© Collection Cold Cuts/Fondation arabe de l’image, Beyrouth)
Son projet est centré autour des années 1980 et 1990 et rassemble des “prises de vues en studio, des photographies inédites” ainsi que des entretiens menés auprès de personnes transgenres beyrouthines, aujourd’hui âgées d’une trentaine à une cinquantaine d’années.
Ces images et textes racontent les histoires “d’une ville désormais perdue, de guerre, de survie, d’amour, de bals, de soirées, de familles, de plage, d’abus et de prison” afin d’accorder à ces aîné·e·s resté·e·s dans l’ombre “respect, visibilité, amour et bonté”. Cette pluralité de media et de thématiques permet de percevoir les histoires de la communauté trans au travers de prismes variés et de proposer une chronologie à leur Histoire.
Photographe non identifié·e, image représentant Em Abed lors d’un bal masqué au Saframarine, prise à Kesrouane, Liban, 1995. (© Collection Cold Cuts/Fondation arabe de l’image, Beyrouth)
Internet comme lieu militant
Devenue une “figure incontournable de la scène alternative tunisienne”, Khookha McQueer expose à l’Institut du monde arabe une série de ses publications Instagram. Montrer ainsi ses captures d’écran, plutôt que de simplement exposer les tirages photo, met en exergue la puissance des réseaux sociaux dans le cadre des luttes LGBTQIA+.
Khookha McQueer a commencé à partager “ses billets féministes et queers” sur les réseaux dès 2013. Si seuls ses autoportraits sont exposés à l’IMA, c’est parce que l’artiste se considère “comme une expérience vivante, chaque œuvre proposant des variations esthétiques et de genres”. Ces selfies, objet phare du XXIe siècle, appuient l’importance des voix individuelles au profit d’une avancée collective.
L’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour” est à voir à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 19 février 2023. Les événements organisés par Jins sont gratuits.