Clément Marion est un jour tombé sur une interview d’une jeune femme grande brûlée, qui interrogeait le présentateur télé : “Quand est-ce que vous avez vu un grand brûlé pour la dernière fois ? Vous n’en avez pas vu ? C’est normal, ces gens-là se cachent.”
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Cette “simple question rhétorique” a éveillé des questionnements chez le photographe et ravivé le souvenir lointain du premier grand brûlé rencontré durant son enfance : “Je ne connaissais pas vraiment son histoire, ni même son nom, et je n’ai pas vraiment eu l’occasion de lui parler. Il portait en permanence des grandes lunettes noires. Du haut de mes 4 ou 5 ans, j’étais un peu fasciné, je crois.”
<a href="https://www.instagram.com/20.000.volts/" target="_blank" rel="noopener noreferrer">@20.000.volts</a> pour “Phœnix”. (© Clément Marion)
Ce souvenir a poussé le photographe à se demander “comment aider à l’acceptation des autres, de la différence”. Passionné par l’argentique (moins “lisse” et “parfaite” que la pratique numérique) depuis qu’il a “développé [sa] toute première pellicule”, Clément Marion a décidé de remonter le temps pour concevoir sa série Phœnix, et ce grâce à une technique photo bicentenaire, le collodion humide :
“C’est une technique photographique datant des années 1850. Le collodion est une émulsion de nitrate de cellulose dissoute dans un mélange d’alcool et d’éther couchée sur une plaque de verre. Quand ce mélange sirupeux commence à se figer sur le verre, on plonge la plaque dans un bain de nitrate d’argent pour la sensibiliser. Il faut ensuite effectuer la prise de vue et le développement avant que la plaque ne sèche”, explique-t-il.
“Phœnix”. (© Clément Marion)
Textures
En plus de son attirance pour cette technique qu’il souhaitait essayer “depuis longtemps”, Clément Marion a vite noté “le parallèle entre la texture du collodion humide et celle de la peau cicatrisée des grands brûlés”. Il rappelle que le collodion humide “est composé entre autres de deux éléments principaux, le collodion et le nitrate d’argent” :
“Séparément, ils sont tous deux utilisés en médecine pour la cicatrisation. Le collodion en tant que pansement, et le nitrate d’argent, sous forme de petit bâton, permet de brûler une cicatrice qui a mal cicatrisé, pour diriger la re-cicatrisation de la peau. Ensemble, ces deux éléments forment une émulsion photographique semblable à une fine peau étalée sur plaque de verre.
Cette pellicule sèche peu à peu dès la préparation à la prise de vue, jusqu’à la fin du développement de la photographie. Elle finit par se durcir, se rétracter, parfois se craqueler et souvent changer de couleur, elle est finalement sensible à la lumière. C’est également les caractéristiques principales des cicatrices par brûlure.”
“Phœnix”. (© Clément Marion)
Ce médium “particulièrement bien adapté” permet de magnifier les grains de peau, de mettre en relief brûlures et cicatrices pour enfin les rendre visibles, “sensibiliser l’œil de chacun aux cicatrices” et peut être aussi “éviter dans le futur des regards trop insistants, de curiosité ou de peur”. Cet effort de visibilité est intensifié par le fait que les modèles posent nu·e·s :
“Se ‘mettre à nu’ était pour moi la manière la plus honnête de se livrer à cet exercice photographique. Et puis, d’un point de vue artistique, c’est bien plus esthétique. J’aime aussi l’idée qu’enlever les vêtements rend le résultat intemporel. Notamment avec la pratique du collodion, ces photos auraient pu être prises il y a cent ans ou dans cent ans. Du reste, la cause des grands brûlés n’est pas nouvelle non plus.”
“Phœnix”. (© Clément Marion)
Une œuvre collaborative
Phœnix est l’œuvre du photographe, mais surtout le résultat d’une collaboration entre ce dernier et les personnes qu’il a photographiées, rencontrées “via les réseaux, des amis ou d’autres grands brûlés”. Les journées de séances photo étaient d’ailleurs rythmées d’une part par les exigences du procédé (“le temps de chaque bain chimique ou des chargements du châssis de la chambre photographique” par exemple), et d’autre part par les discussions avec ses modèles :
“Je leur tirais un premier portrait, les yeux fermés, pour mettre en pratique ce protocole, en appréhender le tempo et les familiariser avec la puissance assez importante des flashs. Nous mangions ensuite en discutant du projet, ils pouvaient visionner les photos déjà faites et me poser des questions.
Souvent, c’est à ce moment-là que nous évoquions les histoires de chacun. C’est une étape cruciale, surtout pour introduire la prise de vue. Certains ont eu des accidents ; pour d’autres, il est question d’agressions. Les photos pour la série étaient réalisées durant toute l’après-midi, jusqu’en soirée”, nous détaille l’artiste.
“Phœnix”. (© Clément Marion)
Clément Marion a également édité, avec une de ses modèles et amie, un recueil à but thérapeutique contenant les photographies de l’un et les “textes optimistes sur la condition de l’être humain face à la souffrance” de l’autre.
La série Phœnix comporte actuellement douze portraits de douze modèles, mais le photographe espère poursuivre ce projet autrement, sur de plus grands formats et dans une approche “plus documentaire”, pour “démontrer par exemple que la brûlure n’est pas causée seulement par le feu”. ” J’espère de tout cœur que cette démarche a aidé les participants, et que les photographies aideront les spectateurs à accepter les autres, eux-mêmes et la différence”, conclut-il.
“Phœnix”. (© Clément Marion)
“Phœnix”. (© Clément Marion)
“Phœnix”. (© Clément Marion)
“Phœnix”. (© Clément Marion)
“Phœnix”. (© Clément Marion)
“Phœnix”. (© Clément Marion)
Vous pouvez retrouver le travail de Clément Marion sur son site et sur son compte Instagram. Le recueil Brûlés est disponible en précommande et sera envoyé gratuitement à une cinquantaine de professionnel·le·s de santé, “qui l’utiliseront comme support dans leurs démarches médicales avec leurs patients “grands brûlés”.