Bien qu’ayant connu un succès retentissant de son vivant, le nom de Baya reste bien moins célèbre que nombre de ses contemporain·e·s qu’elle aurait pourtant inspiré·e·s. Est-ce son genre, ses origines, sa religion qui sont en cause ? Sûrement les trois à la fois. Heureusement, depuis quelques années, son travail est remis en lumière à la hauteur de son talent et de ce que la peintre a offert à l’histoire de l’art moderne.
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À l’Institut du monde arabe parisien, “Baya, icône de la peinture algérienne. Femmes en leur Jardin” fait dialoguer les œuvres de la peintre avec son histoire. On y admire ses dessins d’enfant, déjà habités de silhouettes de femmes, ses céramiques, ses toiles vibrantes et nombre d’archives (des photographies, articles, lettres) qui permettent de mieux appréhender sa vie et son influence.
Baya, Les Oiseaux musiciens, 1976, collection particulière.(© Alberto Ricci)
Elle a été orpheline à 5 ans
Fatma Haddad naît en 1931 près de Bordj El Kiffan, à l’est d’Alger. Cinq ans plus tard, son père Mohammed Haddad ben Ali meurt et la famille se délocalise en Kabylie – raison pour laquelle l’artiste affirme ses identités “à la fois kabyle et arabe”. À Tizi-Ouzou, elle travaille dans les champs et se souvient “avoir vu les femmes travailler l’argile”. Des souvenirs qui peupleront ses œuvres, dans le fond et la forme. En effet, on retrouve dans ses œuvres une faune et une flore luxuriante ainsi que des céramiques. “C’est peut-être pour cette raison que je m’y suis mise, toute seule, et que j’adore la terre et la poterie”, reliait-elle auprès de Dalila Morsly en 1993.
Portrait de Baya, 1947. (© Anom Franom)
Quelques jours avant ses neuf ans, Baya perd sa mère. Après plusieurs mois passés avec la famille de son beau-père, elle est recueillie par sa grand-mère, qui travaille dans des fermes agricoles. Dans une de ces fermes, Baya rencontre Marguerite Caminat, une amatrice d’art qui adopte la petite fille, avec l’accord de sa grand-mère : “Un lien de mère à fille s’instaure très vite”, affirme l’Institut du monde arabe. En plein climat de colonialisme français, Baya “fait le ménage et les courses” dans l’appartement algérois de Marguerite et son époux, et peint.
Elle était autodidacte
On raconte que, admirative des talents de la petite fille, Marguerite Caminat l’aurait poussée à sculpter et à peindre en suivant ses envies : “On me disait toujours : ‘Baya, fais ce qui te passe par la tête et comme tu veux !’ Personne ne m’a indiqué́ quels mélanges il fallait faire, par exemple ; j’ai découvert les choses toute seule”, confiait-elle à Dalila Morsly, toujours en 1993. Baya s’inspire de son vécu, de ses expériences dans les champs, de ce qui l’entoure : “Je vivais dans une maison pleine de fleurs. Il y avait beaucoup d’autres belles choses, d’autres beaux objets ; vous voyez un peu le climat dans lequel je vivais.”
Baya, Femme et oiseaux en bleu, 1993.(© Musée de l’IMA/Photo : Alberto Ricci)
Elle aurait inspiré les plus grand·e·s artistes français·es de son époque
Membre de l’intelligentsia française, Marguerite Caminat reçoit des intellectuel·le·s français·e·s chez elle. À 16 ans, le travail de Baya est remarqué par le galeriste et collectionneur français Aimé Maeght. Il expose trois de ses sculptures dans son “Exposition internationale du Surréalisme” avant d’organiser, en novembre 1947, la première exposition dédiée aux œuvres de Baya. Elle voyage à Paris pour l’inauguration et pour assister au triomphe de l’événement.
Les grands noms de l’art se pressent autour de la jeune fille et s’émerveillent de son art. Jeune, femme, Algérienne, Baya ne connaîtra pas le même succès d’estime que ses contemporains français qu’elle aurait pourtant inspirés : “J’ai plutôt l’impression qu’on m’a emprunté des couleurs, par exemple : des peintres qui n’utilisaient pas le rose indien se sont mis à l’utiliser. Or, le rose indien, le bleu turquoise, ce sont les couleurs de Baya, elles sont présentes dans ma peinture depuis le début.”
Baya, Femme au panier, 1947. (© Musée d’Art naïf et d’Arts singuliers de la Ville de Laval)
Les couleurs de Baya, sa façon de déconstruire les personnages, de les dépouiller de leurs ombres et de certains détails afin d’en faire des silhouettes évoluant dans un univers à la croisée de l’abstraction et de la figuration inspirent la scène artistique du XXe siècle. En 1948, Baya rencontre Picasso “qui se montre intéressé par son travail”, note l’Institut du monde arabe.
“Nos ateliers étaient voisins et il venait de temps en temps me rendre visite. Nous discutions. Il était très gentil. Des gens ont dit qu’il m’avait montré comment travailler. Pas du tout. Chacun travaillait de son côté”, rapportait-elle en 1982, agacée à l’idée qu’on lui retire son souffle et sa détermination personnels.
Son art rend hommage à sa mère disparue
Née Fatma Haddad, l’artiste a choisi de rendre hommage à sa mère, Bahia Abdi, pour son nom d’artiste. De son père, la peintre rapporte n’avoir que peu de souvenirs tandis que, de sa mère, elle “garde une image assez précise”. Elle fait elle-même le lien entre le souvenir de sa mère et le fait qu’elle ne peint que des femmes. “J’ai l’impression que cette femme que je peins est un peu le reflet de ma mère : je la fais musicienne, etc. J’ai le sentiment que c’est ma mère et que là, j’ai été influencée par le fait que je ne l’ai pas très bien connue, que j’ai été imprégnée de son absence. Je ne sais pas…”
Baya, Le Rêve de la mère, une des deux versions, 1947, collection Sybille de Maisonseul. (© Gabrielle Voinot)
Elle a eu une longue carrière
De Baya, on connaît souvent des portraits adolescents, la légende l’entourant faisant primer son talent précoce et le succès de sa carrière survenant si jeune. Mais Baya a continué à créer jusqu’à sa mort, ne faisant une pause que lorsqu’elle a eu des enfants, pendant une dizaine d’années, avant de reprendre et de continuer l’élaboration de son monde. Un monde qui parvient à se détacher des apparences pour tendre vers le rêve, les souvenirs et l’espoir. Contrairement à ce qui est souvent montré d’elle, Baya n’est pas qu’une adolescente prodige, c’est une peintre de talent, à la carrière dense, longue et réfléchie.
Portrait de Baya à l’exposition d’artistes algérien·ne·s, Fête de l’Humanité, La Courneuve, septembre 1998. (© Abderrahmane Ould Mohand)
Baya, Femme candélabre (atelier Madoura), 1948, collection Sybille de Maisonseul. (© Gabrielle Voinot)
Baya, L’Âne bleu, circa 1950, collection Kamel Lazaar. (© Firas Ben Khalifa)
Baya, Mère et enfant en bleu, 1947. (© Isabelle Maeght)
L’exposition “Baya, icône de la peinture algérienne. Femmes en leur Jardin” est exposée à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 26 mars 2023.