Le photographe James Nachtwey nous donne des nouvelles de notre monde, sur les quarante dernières années. Et vous n’en ressortirez pas indemnes.
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“J’ai été un témoin. Un témoin de ces gens à qui l’on a tout pris − leur maison, leur famille, leurs bras et leurs jambes, et jusqu’au discernement. Et pourtant, une chose ne leur avait été soustraite, la dignité, cet élément irréductible de l’être humain. Ces images en sont mon témoignage.” Voici comment débute le premier étage de l’exposition “Memoria”, consacrée à l’œuvre photojournalistique de James Nachtwey, à la Maison européenne de la photographie.
C’est avec une envie profonde de témoigner et dans un devoir de mémoire que celui que l’on considère aujourd’hui comme l’héritier de Robert Capa a monté cette première rétrospective jamais dédiée à son travail. Les photos se passent de légendes, et ne sont contextualisées que par une simple indication des pays sur les murs. Comme si elles parlaient d’elles-mêmes. Pour cet événement, il livre des images d’une beauté effarante, composées avec un soin infaillible, dans l’urgence des guerres.
Des nouvelles du monde
Réalisée en collaboration avec le commissaire d’exposition Roberto Koch, cette manifestation rend compte du regard personnel que le photographe new-yorkais pose sur son œuvre et sur tous ces événements auxquels il a assisté : des années 1980 à aujourd’hui, de la guerre d’Afghanistan à la crise des migrants en Europe, en passant par la guerre de Bosnie-Herzégovine, le 11-Septembre, le conflit israélo-palestinien, la famine au Darfour ou en Somalie, les catastrophes écologiques au Viêt Nam et le génocide du Rwanda… Roberto Koch explique :
“La mémoire est la chose la plus essentielle que nous ayons pour imaginer le futur et prévenir des erreurs du passé. À travers ses photographies et ses paroles, James Nachtwey nous rappelle ainsi que si nous sommes incapables de nous souvenir du passé, nous serons condamnés à sa perpétuelle répétition. […]
L’objectif de James Nachtwey vise aussi la pauvreté en Inde et en Indonésie, le fléau du sida, de la drogue ou de la tuberculose, mais aussi les actes d’amour des proches qui restent au chevet des malades.”
Ayant consacré sa vie à la photographie documentaire, James Nachtwey passe du noir et blanc à la couleur avec une facilité déconcertante. Pour chacune de ses photos, la lumière et les ombres sont des éléments centraux. Une ombre peut apporter un nouvel indice narratif à la photo et aboutir sur une sorte de dénouement de l’histoire qu’elle raconte. Comme le disait Abbas avec justesse, “le photographe sera toujours pour moi celui qui écrit avec la lumière”.
À travers 17 parties qui jalonnent le parcours du visiteur, 200 images mènent à une réflexion sur la guerre et l’humanité, nécessairement collective. Durant sa carrière prolifique très récompensée, James Nachtwey a observé les conflits du monde contemporain, en première ligne, avec une grande compassion :
“J’ai voulu devenir photographe pour saisir la guerre. Mais j’étais poussé par le sentiment inhérent qu’une image qui dévoilerait sans détour le vrai visage d’un conflit se trouverait être, par définition, une photographie antiguerre.”
Véritable humaniste, James Nachtwey a trouvé sa vocation de photographe de guerre au contact des images de la guerre du Viêt Nam et des marches pour les droits civiques dans les années 1960. Il prend alors conscience du pouvoir des images sur les mentalités. Depuis ce déclic, il s’est fait la promesse de ne jamais détourner le regard de la souffrance du monde, et aura documenté un bon nombre de douleurs, d’injustices, de cruautés et d’enfers sur Terre.
“Memoria”, exposition de James Nachtwey à la Maison européenne de la photographie, jusqu’au 29 juillet 2018.