Histoire d’un aller sans retour
Ⓒ J. Longo/<em>The Toast</em>
À voir aussi sur Konbini
En 2012, en pleine sortie d’Un voyage inattendu au cinéma, le premier volet de la trilogie du Hobbit, les relations entre Warner Bros. et la Tolkien Estate sont au plus bas. L’entité en charge de l’héritage de J. R. R. Tolkien accuse son collaborateur d’avoir violé leur contrat de longue date. Plus spécifiquement, ses représentants en veulent au jeu en ligne et de paris Lord of the Rings: The Fellowship of the Ring: Online Slot Game, qui a été fait sans leur consentement. Quelques mois plus tard, juste avant de passer devant la cour, les deux parties parviennent à un accord (s’élevant à une redevance de 80 millions de dollars tout de même) et décident de poursuivre leur relation fructueuse pour de futurs projets.
Alors qu’une grosse canicule s’apprête à frapper l’Europe à l’été 2017, Warner Bros. et la Tolkien Estate fabriquent encore plus de chaleur en se frottant les mains. Ils viennent de vendre une série se déroulant dans le monde du Seigneur des anneaux pour une somme astronomique : 250 millions de dollars. L’acheteur est Amazon (même Netflix et HBO ont passé la main devant l’ampleur de la tâche), afin de booster sa plateforme Prime Video fraîchement lancée dans le marché du streaming. Quelques jours plus tard, on apprend que cet investissement colossal n’était que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, le géant américain serait prêt à lâcher 750 millions de billets verts supplémentaires pour donner vie à cinq saisons en Terre du Milieu.
Un milliard de dollars. C’est tout simplement la série la plus chère de l’histoire que Jeff Bezos tient entre ses mains. Le patron d’Amazon s’est d’ailleurs personnellement occupé des négociations avec la Tolkien Estate. Depuis le lancement de Prime Video, l’homme le plus riche de la planète cherche absolument à concurrencer Game of Thrones avec sa propre série de fantasy. Avec cet achat clairement hors de prix, il tient désormais de l’or entre ses mains, en s’assurant un univers particulièrement riche ainsi qu’une fan base déjà acquise depuis de nombreuses années, et terriblement en manque de contes légendaires dans les contrées du Rohan et du Gondor.
Et une communauté fut forgée
Ⓒ Amazon
Dans sa grande tradition commerciale, il est révélé en novembre 2017 que Jeff Bezos fait potentiellement un investissement à perte avec Le Seigneur des anneaux. Au niveau créatif, Amazon n’a aucune idée de ce qu’elle va faire de ces droits d’adaptation chèrement acquis. Dans un communiqué, la plateforme parle d’un vague projet “d’histoires jamais racontées” dans l’univers de Tolkien. Finalement, en avril 2018, Amazon passe la seconde en venant à la rencontre de l’homme qui connaît le mieux le folklore de la Terre du Milieu : Peter Jackson.
Épuisé par ses longs-métrages monstres, le réalisateur des deux trilogies filmiques décline toutefois l’invitation, en leur souhaitant une franche réussite. Amazon doit donc monter une équipe créative de A à Z pour s’atteler à ce projet démiurge. En juillet 2018, la firme recrute un tandem de scénaristes pour ce pari risqué, qui n’est pas sans rappeler celui de Game of Thrones avec D. B. Weiss et David Benioff : J. D. Payne et Patrick McKay sont jeunes, passionnés d’univers de fantasy et surtout très ambitieux. Les deux amis de longue date ont déjà dans les tuyaux le reboot de Star Trek et du héros Flash Gordon au cinéma.
Chargement du twitt...
Dans un nouveau communiqué, le duo évoque “une aventure de toute une vie” et compare l’ampleur de la série au voyage de Frodon Sacquet. Une montagne à escalader aussi dangereuse et casse-gueule que celle du Destin dans les régions désolées du Mordor. Afin d’assumer leurs lourdes responsabilités auprès des fans, J. D. Payne et Patrick McKay commencent à s’entourer d’une équipe d’experts pour assurer leur adaptation. Ils engagent d’abord le scénariste Bryan Cogman en tant que consultant, un habitué des séries monstres avec Game of Thrones sur son CV.
Malgré le refus de Peter Jackson, le tandem tente de récupérer des vétérans des films du Seigneur des anneaux. Ils séduisent ainsi John Howe, concepteur designer de la trilogie originale, Thomas Alan Shippey, un universitaire britannique de renom spécialisé dans les travaux de Tolkien, à qui il a dédié plusieurs études, et Kate Hawley, cheffe costumière de la trilogie du Hobbit. Enfin, deux valeurs sûres hollywoodiennes des effets visuels sont recrutées, Rick Heinrichs et Jason Smith, respectivement chef décorateur et directeur des effets spéciaux sur des grosses franchises telles que Star Wars et Pirates des Caraïbes.
Une ouverture sur le Deuxième Âge
En mars 2019, une information essentielle concernant le scénario de la future série fuite. En effet, la Tolkien Estate, décidément dure en affaires, n’a pas donné son accord pour toucher au Premier Âge de la Terre du Milieu. Exit donc les batailles épiques des Hommes et des Elfes contre Melkor, l’origine des Valar et la création des Silmarils. Dans le même temps, on apprend que les droits du Troisième Âge (regroupant par ailleurs Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit) sont également intouchables, étant réservés à la Middle-earth Enterprises. Logiquement, il ne reste donc “que” le Deuxième Âge à explorer pour les deux showrunners, une période suffisamment vaste et riche en événements pour qu’ils laissent libre cours à leur imagination.
Cette période de l’histoire de la Terre du Milieu se déroule 1 000 ans avant la quête de Frodon. Elle est marquée par l’avènement puis la chute d’une puissante civilisation insulaire, les Númenóréens, appelés aussi rois des Hommes. C’est une époque trouble mais aussi extrêmement vague dans l’imaginaire de Tolkien, qui permet donc une liberté immense pour les scénaristes. Toutefois, on sait que Sauron y a tenu un rôle majeur, d’abord en fondant le Mordor, ensuite en retournant les hommes de Númenor contre leurs dieux, les Valar.
Chargement du twitt...
Après la submersion de leur île légendaire, les Númenóréens survivants se réfugièrent en Terre du Milieu et fondèrent ainsi les régions du Gondor et d’Arnor. En réalité, Peter Jackson a déjà mis en scène le dénouement du Deuxième Âge dans La Communauté de l’anneau, à travers la bataille de la Dernière Alliance. Il s’agit du siège dantesque de Barad-dûr, où Sauron est vaincu par Elendil et Gil-galad. Isildur s’empare alors de l’Anneau unique, qui finira entre les mains de Gollum puis d’un petit Hobbit de la Comté.
Un cast pour les gouverner tous
Ⓒ HBO
Au vu de la diversité des races et du gigantisme de la Terre du Milieu, on est déjà assurés que cette adaptation aura des allures de série chorale. Pourtant, Amazon reste encore très mystérieux sur le cast, peut-être à cause de l’échec de Will Poulter (Black Mirror), recruté dans un rôle principal en septembre 2019 avant de finalement décliner l’invitation pour des conflits de calendrier. Depuis, le géant américain a enrôlé de jeunes acteurs plutôt méconnus du grand public, qui vont pour certains incarner des personnages emblématiques du Seigneur des anneaux.
En effet, on sait d’ores et déjà que des héros et méchants de l’univers de Tolkien seront de la partie. Ainsi, l’actrice suédoise Morfydd Clark incarnera une version jeune de l’elfe Galadriel, rôle autrefois tenu par Cate Blanchett. D’autres personnages à la longévité exceptionnelle devraient apparaître dans la série, dont Elrond et Sauron, qui croisent souvent le fer au cours des âges, ou encore le magicien Gandalf, que Ian McKellen apprécie toujours autant vingt ans après.
Ⓒ Amazon
Pour le moment, Amazon a casté une quinzaine d’acteurs au sein de la Terre du Milieu, dont Robert Aramayo (Ned Stark dans les saisons 6 et 7 de Game of Thrones), Owain Arthur (The Palace), Nazanin Boniadi (Homeland), Tom Budge (The Pacific), Ismael Cruz Cordova (Ray Donovan), Megan Richards (Wanderlust) et Dylan Smith (Into the Badlands). Mais le rôle le plus intrigant reste celui de Joseph Mawle (Benjen Stark dans Game of Thrones) qui interprétera le grand méchant de la série : un certain Oren.
Dans l’univers de Tolkien, Oren ne correspond à aucun personnage connu. Il s’agit donc soit d’une création pour la série, soit d’un nom de code destiné à dissimuler la véritable identité de cette entité maléfique. À la manière de la Bouche de Sauron ou du Roi-Sorcier d’Angmar, il pourrait incarner un des lieutenants du seigneur des ténèbres chargé de mettre à mal l’île de Númenor. Il pourrait également s’agir d’Annatar, un des alias de Sauron, avec lequel il infiltre les Elfes d’Eregion et se rapproche de Celebrimbor, personnage majeur du Silmarillion.
Voyage en Terre du Milieu
Ⓒ Blue Planet Studio
Dès la validation du projet, Amazon envisage de retrouver les paysages idylliques de la Nouvelle-Zélande. Mais la firme se frotte à un problème de taille : la 20th Century Fox et James Cameron occupent tous les studios d’Auckland pour la franchise Avatar. En décembre 2018, le géant américain joue la carte de l’agressivité avec le pays des Maoris en menaçant de ne pas poser leurs caméras sur leurs terres, et ainsi priver la région d’une manne financière importante. Finalement, un rendez-vous de crise est organisé avec David Parker, le ministre du développement économique néo-zélandais de l’époque, afin de trouver un arrangement.
Deux tristes événements vont alors jouer un rôle capital dans la décision d’Amazon : le Brexit (l’équipe créative envisageait de tourner en Écosse comme plan B) et les attentats de Christchurch. Pour rassurer les étrangers et continuer de s’imposer comme un territoire sécurisé, le gouvernement accorde finalement une baisse de 25 % des taxes et des studios à Wellington, Auckland et Queenstown pour le tournage de la série. Le réalisateur J. A. Bayona (L’Orphelinat, Jurassic World: Fallen Kingdom), choisi pour réaliser les deux premiers épisodes du show, pose officiellement ses caméras en Nouvelle-Zélande en février 2020.
Mais seulement un mois plus tard, le crew doit de nouveau faire face à une catastrophe de type planétaire : la pandémie de Covid-19, qui se propage rapidement sur l’île d’Océanie. Les quelques 800 personnes qui travaillent sur la série ont alors pour ordre de rester enfermées chez elles, tandis que le tournage est mis en hiatus indéfiniment. Pendant l’été 2020, le gouvernement néo-zélandais annonce exceptionnellement, et en accord avec les nouvelles règles sanitaires mises en place, que sept productions cinématographiques pourront reprendre sur son territoire. Les fans du Seigneur des anneaux peuvent respirer, la série en fait partie. Le tournage a finalement repris le 28 septembre dernier et se poursuivra pendant au moins six mois.
Le retour du roi
C’est évidemment LA grande question que tous les aficionados de la Terre du Milieu se posent : quand pourrons-nous retourner sur les terres féeriques de Tolkien ? Avant la pandémie mondiale, Amazon tablait pour une sortie en décembre 2021 sur sa plateforme. Mais maintenant que le monde de l’industrie doit apprendre à vivre avec la menace du Covid-19, la série pourrait être repoussée de quelques mois (et encore, si le tournage n’est pas interrompu par une potentielle contamination).
À ce jour, les nouvelles sont plutôt bonnes : le show a d’ores et déjà été renouvelé pour une deuxième saison, qui devrait être tournée dans la foulée de la première. J. D. Payne et Patrick McKay ont d’ailleurs demandé une pause entre le tournage des deux premiers épisodes et du reste de la saison afin de se concentrer sur les scripts de la saison 2. Au fond, les fans savent que patience sera mère de sûreté quant à ce projet pharaonique et probablement à même de devenir aussi populaire que Game of Thrones. Et de laisser le dernier mot de sagesse à Gandalf : “un magicien n’est jamais en retard, ni en avance d’ailleurs […]. Il arrive précisément à l’heure prévue”.