À 17 ans, j’ai quitté mon pays, les Comores. Mon père, qui vivait à Marseille, est tombé malade et n’avait personne pour l’aider. Ma mère m’a envoyée de force en France avec mon petit frère, et pourtant, j’avais l’impression de l’abandonner. J’étais tellement triste. J’avais toute ma vie là-bas : le lycée, les amies, les soirées… Je me sentais également coupable et égoïste, car beaucoup de jeunes Comoriens auraient rêvé d’être à ma place.
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Lorsque je suis arrivée à Marseille, personne ne m’a accueillie. Mon père était à l’hôpital, sous dialyse. Je me suis donc retrouvée seule dans un pays que je ne connaissais pas, avec l’obligation de prendre sur moi car j’avais la responsabilité de mon petit frère de 11 ans. Une voisine a fini par nous aider.
L’impression de ne pas exister
Aux Comores, on te vend du rêve quand on te parle de Marseille. On te dit que tout est donné, que la vie est facile, que tu as tout sur place : de bonnes écoles, de bons médecins, des aides… On te fait croire que tu n’as pas besoin de travailler. En fait, on ne te donne que le passeport, et une fois sur place, si tu n’as pas de travail, tu n’as rien. Quand je suis arrivée, c’était donc beaucoup plus dur que ce que je pensais.
Je ne connaissais rien de la ville, je pensais que mon père allait m’aider mais j’ai dû tout chercher toute seule : trouver un collège pour mon frère, un lycée pour moi, faire les démarches pour obtenir des papiers… Je suis passée par toutes sortes d’émotions : la tristesse, la fatigue, la peur que mon père meure, la peur de prendre le bus, la colère contre ma famille… “Pourquoi on m’a envoyée ici, dans ces conditions, à 17 ans ?”
Je me suis sentie trahie, je n’avais pas les épaules pour faire face, et je pensais que ma famille devait me détester pour m’envoyer comme ça ici. J’appelais ma mère tous les jours et je pleurais tout le temps, tout le temps, tout le temps. Elle essayait de trouver les mots pour me calmer : “La vie n’est pas toujours facile, mais il faut faire avec.”
Il fallait que je m’en sorte. De toute façon, je n’avais pas le choix. Alors j’ai commencé à me renseigner sur Internet, à aller à la mairie, mais je ne parlais pas bien français et ils me comprenaient mal. La plupart du temps, j’étais donc enfermée chez moi, sans sortir. Je n’avais nulle part où aller, personne à qui parler. Ma vie, c’était l’ennui, et dans ma tête, j’étais toujours une enfant. J’en avais marre de vivre seulement pour m’occuper des autres. J’avais l’impression de ne pas exister.
Au bout de quelques mois, ça allait mieux. Je me suis fait des connaissances ; j’ai trouvé un lycée où j’ai réussi, malgré la barrière de la langue, à m’intégrer ; mon père est sorti de l’hôpital. Malheureusement, il a dû y retourner plusieurs fois. J’avais toujours cette boule au ventre de le perdre. Mais la vie a continué, j’ai fait mes trois années de lycée, et là, je suis en formation.
Rentrer aux Comores pour toujours
Aujourd’hui, je ne me sens toujours pas chez moi, à Marseille. C’est dur à expliquer. Ma mère me manque vraiment, donc je n’arrive pas à me projeter. J’ai aussi l’impression de manquer encore de mots, de les avoir dans la tête mais de ne pas pouvoir les sortir. C’est pour ça que je préfère écrire : j’ai un journal intime sur lequel je note mes pensées lorsque je me sens triste.
Alors, oui, venir en France dans ces conditions m’a appris des choses : je fais des études et je suis indépendante. Mais, même après trois années, c’est toujours comme si j’étais une mère de famille sans avoir d’enfants, et je ne me sens pas prête pour cela. En fait, quand j’y repense, ce n’était pas mon choix de venir vivre ici. On m’a raconté des mensonges, on m’a dit que je pourrais rentrer aux Comores quand je le voudrais. C’est pour ça que, même après toutes ces années, je me sens trahie. Mon petit frère, lui, adore sa vie à Marseille. Il ne veut surtout pas quitter la France !
Cet été, je vais rentrer pour la première fois aux Comores depuis mon départ. Ça va durer deux semaines et je sais déjà que ça va être très dur de repartir et d’abandonner ma mère. Si j’avais le choix, je resterais toute ma vie là-bas, pour que mon rêve d’enfant le plus fou devienne réalité : avoir ma propre maison aux Comores, y fonder une famille et devenir couturière.
Yasra, 20 ans, en formation, Marseille
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.