Ce jour-là, le 24 février, premier jour de la guerre, Lesya voulait rester devant l’ambassade d’Ukraine à Moscou avec une pancarte. Une action pacifique pour montrer son mécontentement, son dégoût. “Il a fallu 20 secondes pour que la police m’embarque”, lâche-t-elle. La mère de famille et habitante de Moscou a pris part aux manifestations anti-guerre en Russie sans hésiter. Elle a été arrêtée par la police, jugée, son casier judiciaire n’est désormais plus vierge. Elle a écopé d’une amende de 20 000 roubles, soit 176 euros.
Dimanche 27 février, elle est retournée manifester, la première arrestation ne l’a pas freinée. Bien au contraire. “Si je suis à nouveau arrêtée pour une autre manifestation, j’aurai une amende d’environ 4 500 euros et trente jours de prison. Personne ici n’a peur de protester à cause de l’amende, ce n’est rien. Mais savoir que vous pouvez aller en prison et peut-être pendant de nombreuses années, c’est autre chose.”
Elle explique que, selon le procureur général et la loi, “tout soutien au pays ennemi” est perçu comme une trahison. En Russie, qui dit trahison dit vingt ans de prison. Derrière le mot “soutien” se cache une réalité floue, qui peut aller de la publication sur les réseaux sociaux aux dons versés aux victimes, explique Lesya.
“Tous les Russes ne sont pas d’accord avec cette guerre”
Il est difficile de manifester de façon massive à Moscou, tous les grands espaces, les places, sont encerclés par des barrières. Impossible de s’approcher de la place Rouge. “Il y a beaucoup de gens qui manifestent mais ils sont éparpillés, ils ne peuvent pas se rassembler”, explique-t-elle. Impossible aussi d’organiser de vraies manifestations :
“Facebook est limité, les gens sont passés sur Telegram. […] J’ai supprimé tous les messages sur mon téléphone, c’est ce que mon avocat m’a conseillé de faire, parce que s’ils [la police et les autorités, ndlr] regardent vos messages et voient des discussions pour savoir où se rejoindre où protester, la loi peut considérer que vous ne participez pas aux manifestations mais que vous les organisez et c’est passible de plusieurs années de prison.”
Après la première arrestation, Lesya était découragée. Quel sens donner à ces protestations ? Quel était leur but ? Le discours du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lui a redonné espoir lorsqu’il a pris la parole en russe : “À tous les Russes qui ont manifesté aujourd’hui, nous vous avons vus. Chacun de vous.” Il n’était plus possible pour Lesya de contenir ses larmes : “Je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter.”
Entre résignation et devoir
Aucune figure ne peut aujourd’hui diriger les manifestants anti-guerre. “Pour le moment, nous n’avons aucun leader dans l’opposition qui pourrait nous rassembler. Navalny est en prison, les autres ont dû quitter le pays.” Les manifestants se retrouvent seuls, sans soutien.
Émue, Lesya explique qu’un ami lui a conseillé de fuir, tout simplement. De prendre le premier avion et de demander l’asile politique. Fuir, mais pour aller où, accueillie par qui ? “Si la Russie s’effondre maintenant, personne ne nous aidera désormais. Nous serons réduits à être des agresseurs.”