Quand j’allais à l’école ou que je les croisais dans la rue, les parents des autres élèves cachaient leurs enfants dans leur dos, comme pour les protéger de moi. Ils chuchotaient des choses à leurs oreilles et me regardaient mal. Ils ne me disaient jamais rien en face. À 9 ou 10 ans, on n’est pas préparé à affronter le jugement des autres. Pourtant, c’est ce qui m’est arrivé.
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Résultat : je n’avais pas beaucoup d’amis. Je me retrouvais souvent seul à la récré, je n’avais personne à qui parler. Personne n’est venu m’aider. Même les profs ne venaient pas vers moi. Je me suis senti rejeté et détesté pour rien.
Pourquoi se comportaient-ils tous comme ça ? Parce que mon père était alcoolique. L’information s’est très vite propagée parce que, là où j’habite, tout le monde parle et tout se sait. Mon père était connu dans les cinq cafés de la ville. La mauvaise image que les gens avaient de lui s’est répandue sur moi et le reste de ma famille. Il nous a tous emportés dans son malheur.
Des cris, des pleurs, du sang
Le jugement incessant des autres, adultes et enfants, c’est une chose, mais il y avait aussi ce qu’il se passait à la maison. Je me souviens que je rentrais souvent de l’école ou du club de foot avec la boule au ventre parce que je savais à quoi m’attendre une fois à la maison. Des cris, des pleurs, du sang.
En rentrant chez moi, j’avais toujours le même réflexe : je montais directement dans ma chambre. Je déprimais ou alors je jouais à la console. C’était mon refuge et je me disais que mes amis virtuels ne pouvaient pas me juger. Je voulais me cacher, parce qu’une fois alcoolisé, mon père était violent.
Il frappait ma mère. Il lui a déjà cassé plusieurs côtes. Une fois, j’ai retrouvé ma mère en pleurs et en sang. Parfois, j’essayais de m’interposer. Mais quand on a la force d’un garçon d’une dizaine d’années, on ne fait pas le poids face à un homme de plus de 40 ans. Une fois, il m’a mis un coup de poing dans le nez et je me suis mis à saigner. Il a dû se rendre compte de ce qu’il avait fait parce qu’il est sorti de la maison, et n’est revenu que le lendemain.
M’accrocher, pour ma mère
De mes 9 ans à mes 10 ans, j’ai été suivi par des assistantes sociales. Mais ce n’est pas ce dont j’avais besoin. J’avais l’impression d’être surveillé, d’être espionné 24 heures sur 24. Je n’avais plus le sentiment d’être libre. Je voulais juste qu’on me laisse tranquille.
Quand j’ai fait ma rentrée en classe de sixième, j’étais perdu et apeuré. Je ne voulais pas aller au collège parce qu’une fois là-bas, je n’arrêtais pas de penser à tous les moments compliqués que j’avais vécus à l’école. J’avais des maux de crâne à force de tout ressasser. J’avais du mal à suivre en cours mais je faisais tout mon possible pour ne pas décrocher et pour rendre ma mère heureuse. Elle voulait que je lui ramène de bonnes notes, et c’est ce que je faisais. Je voulais qu’elle se dise que tout n’était pas catastrophique dans notre situation. Je lui disais que j’allais bien, que je passais de bonnes journées au collège pour ne pas qu’elle s’inquiète.
Aujourd’hui, je n’ai plus de contact avec mon père. Il y a très peu de personnes qui sont au courant de mon vécu. Il y a ma mère, ma petite amie et un ami. C’est un sujet qu’on n’aborde quasiment jamais avec ma mère. J’ai vécu cette période comme une épreuve que j’ai su surmonter et qui m’a permis de me forger un mental. J’ai encore du mal à faire confiance aux gens, je ne fais pas attention au regard des autres et j’essaie de donner de l’amour à ma famille et mes amis proches. C’est ma priorité.
Nicolas, 15 ans, lycéen, Nord
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.